Valoriser le respect des processus et les postures de prévention, plutôt que de pointer du doigt...
- alice langlet
- 1 mai 2022
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 mai 2022
... les erreurs et les prises de risques? 🤬🤔
En tant que référente Excellence Opérationnelle chez TGV-INTERCITES, je travaille à la fois sur les processus de production 🔧, mais aussi les processus de relations entre les collaborateurs 👥🗣. Travailler sur ces deux aspects est un levier de l’efficacité collective pour craquer des sujets à fort enjeu, comme la sécurité au travail.
Le management de la sécurité est une porte d’entrée pour amener à la transformation managériale des entreprises. Quelle que soit l’entreprise, quel que soit notre domaine d’activité ou notre job, notre niveau de qualification ou notre position dans la hiérarchie, la sécurité et la santé au travail nous concernent tous😅.
C’est ainsi que j’ai rencontré Philippe Savelli, Responsable du Pôle Transformation Managériale pour la Business Unit TGV Sud Est de TGV-INTERCITES, à l’occasion d’une formation que j’animais sur la communication bienveillante pour ceux qui utilisent l’Excellence Opérationnelle. 🙏
🔎Philippe pilote la transformation managériale de l’entreprise sur le périmètre TGV Sud Est, en l'introduisant par le sujet de la Santé et Sécurité au Travail (SST) et en s’appuyant sur les méthodes de l’Excellence Opérationnelle. A ce titre, il anime lui-même des formations, dans le cadre d’un programme de prévention des accidents du travail. Ces formations « savoir voir, savoir dire » sont axées sur la prévention.
👉🏻 Quand vous réalisez ces formations, quels sont vos enjeux en tant que Responsable du Pôle Transformation Managériale ?
« A travers ce programme, l’entreprise a un objectif de réduction de 50% des accidents du travail en 3 ans 🎯. C’est un objectif avant tout humain. Quel que soit son niveau de gravité, avant d’être un sujet économique pour l’entreprise, un accident du travail est toujours un drame humain.
Pour moi, l’enjeu à travers ces formations est de changer la posture des collaborateurs et des managers. SNCF s’est construite sur le modèle militaire, nous avons une culture de la règle, du contrôle du respect des règles et nous n’avions pas, jusqu’à récemment, la culture de la prévention. Pour moi, la prévention est un juste équilibre entre la bienveillance et la fermeté.
La bienveillance c’est l’encouragement de tous les comportements sûrs. 😉👏🏻 Je vois au quotidien énormément de comportements sûrs que nous ne savons pas suffisamment encourager.
La bienveillance, c’est également de montrer aux personnes, quand elles commettent des erreurs, comment en tirer un apprentissage. 🤩 Cela permet d’aborder le respect des règles en montrant aux individus comment les respecter et surtout en donnant du sens.
Il s’agit d’une approche de management positif et d’encouragement des comportements sûrs. Le respect de la règle et la sanction sont des modalités managériales ultimes à actionner en dernier recours, aujourd’hui. Ce ne sont plus les premiers leviers et nous visons avant tout à travailler collectivement sur le « comment faire différemment » pour travailler en sécurité. »
👉🏻 Passer d’une culture de la sanction à une culture de la prévention est un grand changement de mindset. Sur quoi vous appuyez-vous pour réaliser cette transformation ?
« Je m’appuie sur 4 routines de l’Excellence Opérationnelle 😃 :
💡 La Tournée terrain : la sécurité, ça se gère sur le terrain. Faire des observations in situ, avec les agents est la première étape indispensable pour rester concret, pragmatique et ancré dans le réel.
💡 Les Points 5 minutes pour sensibiliser au maximum les agents avec des « contacts sécurité ».
💡 Le management visuel dans lequel nous avons un « point sécurité » pour encourager les bonnes pratiques, recadrer lorsqu’il y a des dérives, piloter la SST et faire remonter les irritants ; tout ce qui empêche les collaborateurs de travailler en sécurité, en qualité et en productivité. Le 5S est également un outil de management visuel que nous utilisons pour prévenir les accidents au travail.
💡 La Résolution Structurée de problème nous sert à traiter chaque irritant en allant chercher les causes-racines réelles lorsqu’il y a eu un accident. Par exemple, nous avons eu un agent qui s’était fait mal en portant un pack de bouteilles d’eau dans les escaliers d’un TGV. Après analyse, nous nous sommes rendus compte que l’organisation était prévue de telle manière que l’agent devait monter les escaliers du TGV avec un pack de 12 kilos dans les mains. Le système mettait de facto l’agent en risque. Reprendre l’agent sur ses gestes et postures n’aurait eu aucun effet à terme, nous n’avions aucune certitude sur le fait que l’agent avait commis une erreur de posture. Là où le réflexe managérial aurait pu être de renvoyer l’agent en formation SST sur les postures, l’analyse causale, nous a permis de faire évoluer le système en changeant le processus. A l’issue de la résolution de ce problème, j’ai croisé l’agent en question. Après avoir participé à cette analyse causale ce collaborateur m’a partagé qu’il a eu le sentiment d’avoir été pris en considération et que son accident a permis de faire évoluer l’entreprise sur un point simple, mais quotidien de tous les collaborateurs qui travaillent à bord des trains. »
👉🏻 Quelles objections rencontrez-vous dans cette transformation managériale ?
« La première est un frein d’encouragement aux bonnes pratiques. Nous avons encore un certain nombre d’encadrants dont le réflexe est de se dire « on ne va quand même pas féliciter les gens parce qu’ils font tout simplement leur boulot ». Encourager les bonnes pratiques, c’est avant tout souligner toutes ces choses que les collaborateurs font de bien pour contrer les aléas rencontrés. Je me souviens d’un collaborateur qui, retenu par l’opération précédente, arrive en retard pour réaliser une coupe de TGV (ndlr : séparer 2 rames de TGV). Je le vois arriver en retard, à grands pas, mais sans courir, avec ses gants, là où 70% des collaborateurs ne mettent pas leurs gants pour ouvrir la trappe d’accès pour la manœuvre du train. Il réalise parfaitement sa procédure, en restant calme et en travaillant en sécurité. A la fin de sa mission, je lui souligne ce qu’il a fait de bien sur le fait de ne pas avoir couru (beaucoup de chutes ont lieu en courant sur les quais dans des circonstances de précipitation), l’utilisation de ses équipements de sécurité, le respect de la procédure. L’agent était très étonné de ma réaction alors que je l’avais vu arriver en retard, il s’attendait à des reproches. Un réflexe managérial classique aurait pu être en effet de souligner le retard. Je suis convaincu que valoriser ce qui est bien réalisé, en expliquant en quoi c’est positif aura plus d’impact chez le collaborateur que de souligner et d’ancrer tout ce qui est négatif.
Quand on a assisté ou fait quelque chose qui peut être répréhensible, il est tentant de le passer sous silence pour ne pas se faire reprendre par son manager. Ces démarches appréciatives qui valorisent le positif permettent de libérer la parole, pour permettre à chacun « d’oser dire » et remonter les précurseurs graves des risques d’accident. In fine, cela améliore véritablement le cadre de travail de tous et évite de passer sous silence de petites choses qui pourraient être la cause des accidents de demain. A ce titre, la façon de donner du feedback est un véritable enjeu dans l’approche du droit à l’erreur.
Le deuxième frein est d’oser aller vers l’autre et lui dire quand il se met en risque, surtout sur les postes à haut niveau. Quand un manager est en posture hiérarchique il se sent légitime, dès lors qu’un collaborateur de haut niveau voit un collaborateur qui n’est pas de son équipe prendre un risque, il n’ose pas aller le lui dire et vice-versa. Combien d’entre nous oseraient aller interpeler le patron s’il se met en danger ?
J’ai pour habitude d’aller régulièrement faire des observations à Paris gare de Lyon à la fois avec la police ferroviaire et la police nationale. C’est pour moi un bon moyen de me tester. »
👉🏻Qu’est-ce qui vous a amené à ces démarches appréciatives et à ces évolutions de posture dans la façon d’aborder la transformation managériale ?
« Lorsque j’ai participé à une formation réalisée par la Direction Excellence Opérationnelle Voyages sur la communication bienveillante, j’ai pris conscience qu’il y avait un changement à opérer dans la façon de communiquer sur le dialogue sécurité. Cette méthode de communication non violente ou communication bienveillante m’a permis de comprendre ce qui permettait de collectivement nous remettre en lien et d’avancer ensemble sur les problématiques que nous rencontrons au quotidien en matière de sécurité.
Ensuite, j’ai creusé ces sujets avec des livres de Marshall Rosenberg sur la communication non-violente et avec d’autres formations organisées par l’entreprise sur le programme « savoir voir, savoir dire ».
👉🏻 Quels résultats obtenez-vous ?
« Lors d’une journée de formation sur la Sécurité et la Santé au Travail, nous sommes allés observer des agents d’embarquement en gare de Paris Lyon, qui, à la fin de l’observation et du débrief, nous ont remerciés de prendre soin d’eux.
Leur conclusion était « nous travaillons beaucoup par habitude et nous ne nous rendons plus compte des risques que nous prenons. Merci d’avoir…
Valorisé ce que nous faisons de bien,
Montré les risques que nous prenons,
Réfléchi avec nous sur la manière dont nous pourrions faire la même chose différemment pour réduire ou éliminer ces risques.
Le fait de partager avec nous des expériences vécues ailleurs dans l’entreprise et les conséquences que cela a eues, dont nous ne sommes pas conscients nous alerte et nous aide à nous protéger dans le cadre de notre activité professionnelle. »
En allant sur le terrain, en sortant des jeux de rôles hiérarchiques et managériaux au profit d’une relation de parité, en utilisant la communication bienveillante, cette approche permet de bâtir une relation de co-construction gagnant-gagnant, de lever les freins et objections au changement. Cette année j’ai formé plus de 250 collaborateurs. En deux ans, nous avons atteint 44% de baisse de l’accidentologie sur la Business Unit TGV Sud-Est.
Dans cette aventure, l’animal totem de Philippe Savelli est la marmotte. Un animal particulièrement sociable, soucieux de prendre soin de se congénères. »

Que nous apprend la marmotte ?
🎁Co-responsable, la marmotte est un animal très sociable qui vit uniquement en colonie et dans un modèle matriarcal favorisant la co-responsabilité des individus au sein du collectif. Comment instaurez-vous la co-responsabilité au sein de votre équipe ? Comment faites-vous pour que chacun se sente responsable de soi, de ses actes et également conscient de sa part dans les actions du collectif ?
🎁Curieuse et joueuse ! Il est fréquent de les observer par deux en train de se bousculer, de se chahuter, se poursuivre ou de creuser. Elle aime venir titiller sa congénère. Un jeu qui est l’occasion de se challenger pour apprendre ensemble. Vous avez un problème récurrent ? Appelez une marmotte, ses questions vous aideront à challenger la situation pour trouver des solutions simples, efficaces et innovantes… à condition de rentrer dans son jeu. 😉
🎁Acuité visuelle élevée : la marmotte a un champ de vision exceptionnellement large et une excellente vue de jour. Embauchez une marmotte pour votre prochaine tournée terrain, elle verra ce que vous ne voyez plus sur votre propre terrain de jeu. Incitez-vous réellement vos équipes à oser voir et oser dire ce qui les interpelle ?
🎁Attentive à son environnement et en alerte du moindre danger, même quand elle fait la sieste, elle garde les yeux ouverts. Garder une marmotte près de soi évite de tomber dans les habitudes, la routine et de ne plus être vigilant aux dangers. Que mettez-vous en place pour éviter de tomber dans la routine et de ne plus voir les dangers, les risques ?
🎁Co-protection – Animal réputé pour son sifflement et ses cris, elle veille en permanence à la sécurité de chaque membre du collectif. Et vous, comment vous comportez-vous vis-à-vis de vos collègues ? Est-ce que vous vous dites « ça ne me regarde pas » ? … Ou osez-vous les alerter quand l’un d’eux court un danger ?
👉🏻Qu’aimeriez-vous partager à tous les collaborateurs de SNCF ou d’autres entreprises sur cet enjeu de transformation managériale ?
C’est une aventure passionnante et de longue haleine qui m’a totalement transformé. Cette expérience a changé mon regard sur les relations aux autres dans le travail. J’ai toujours eu un mode de management participatif et associatif, mais comme beaucoup d’entre nous, j’ai aussi eu une éducation et une formation très axée sur le respect de la règle. Ici, j’ai appris que je ne pouvais amener le changement qu’en étant dans la bienveillance, comme un éclaireur qui favorise les apprentissages collectifs. J’ai pris conscience à quel point la réaction que je pouvais avoir face à telle ou telle situation peut conditionner les comportements des individus en retour.
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